La difficulté de la recevabilité du dépôt de marque : l’exemple « Je suis Charlie »
Suite à l’énorme élan national né après les évènements tragiques de janvier 2015, le slogan « Je suis Charlie » a connu une ampleur phénoménale. En effet, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) a reçu plus de 50 demandes de dépôt de marque, très certainement en vue d’une exploitation commerciale ultérieure. Ces demandes ont toutefois été rejetées par l’Institut. Quatre questions se posent afin de comprendre une telle décision.
1. Qu’est-ce qu’une marque ?
Au sens de la propriété industrielle, et comme le rappelle l’INPI, la marque est un « signe » servant à distinguer précisément les produits ou services dont une personne est à l’origine de ceux de ses concurrents.
L’INPI entend par marque un mot, un nom, des chiffres, un dessin, un logo, un graphisme particulier, un signe sonore ou encore un slogan, hypothèse qui se rapproche le plus de la formule « Je suis Charlie ».
La marque représente l’image d’une entreprise ou d’une activité et est donc un élément de stratégie industrielle et commerciale certain.
Il est préférable de protéger toute marque au maximum afin de ne pas risquer de voir des tiers s’en emparer et de bénéficier des retours positifs qu’elle peut engendrer.
C’est un réflexe à avoir à chaque création d’œuvre industrielle et/ou intellectuelle !
2. Comment protéger sa marque ?
L’INPI propose à tous de déposer sa marque afin d’obtenir un monopole d’exploitation sur le territoire français pour une durée de 10 ans, renouvelable indéfiniment, contre une redevance de quelques centaines d’euros qui varie en fonction du nombre de « classes » de protection demandées.
Une marque peut être déposée par une personne physique ou morale et lorsque plusieurs personnes souhaitent déposer une marque ensemble, un mandataire commun doit obligatoirement les représenter.
Il convient de s’assurer avant tout dépôt que la marque soit disponible et valable.
Le dépôt des titres de propriété industrielle à l’INPI répond à un formalisme précis.
Lorsque le dépôt est validé la marque sera enregistrée puis, l’Institut publiera l’enregistrement au Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle (BOPI) et enverra un certificat d’enregistrement à cet effet, cinq mois minimum après ledit dépôt.
En l’espèce, sans même effectuer une analyse approfondie, l’INPI a immédiatement refusée toutes les demandes de dépôt du slogan « Je suis Charlie ».
3. Pourquoi l’INPI refuse l’enregistrement du slogan « Je suis Charlie » ?
Pour refuser l’enregistrement du slogan en qualité de marque, l’INPI a considéré qu’il ne répondait pas au critère de caractère distinctif.
Pour l’Institut, « ce slogan ne peut pas être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité ».
L’INPI n’a, en réalité, fait que se conformer aux textes, considérant que ce slogan n’était pas appropriable.
En effet, l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle précise d’une part que le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au regard des produits et services désignés et d’autre part que n’ont pas ce caractère distinctif les signes utilisant une dénomination qui dans le langage courant ou professionnel sert exclusivement à désigner les produits ou services.
Ce même article prévoit que le recours à un signe exclusivement constitué par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit ou service ne peut présenter de caractère distinctif.
Cette obligation de « signe distinctif » a également pour objet de ne pas priver par exemple, un professionnel, de la possibilité d’avoir recours à ce signe nécessaire pour présenter son produit ou service aux consommateurs.
Autrement dit, il n’est pas possible de s’approprier un signe qui permet de désigner un produit ou un service (par exemple, le terme « boulangerie » employé seul) afin de préserver la liberté du commerce.
Cet article édicte donc l’interdiction d’emploi de termes génériques, pour désigner un produit ou un service, c’est ce sur quoi l’INPI a motivé son refus.
4. Quels sont alors les droits de l’auteur du slogan ou encore de Charlie Hebdo ?
La personne qui s’attribue la paternité du slogan semi figuratif « Je suis Charlie » a visiblement été dépassée par le phénomène médiatique engendré par cette simple phrase, devenue en l’espace de quelques heures un symbole, un slogan mondial largement relayé par les médias et dont la propagation a été facilitée par les réseaux sociaux.
Mais au vu du refus de l’INPI, ni l’auteur, ni même Charlie Hebdo ne saurait se prévaloir de la propriété du slogan.
L’auteur du slogan a toutefois déclaré jeudi 15 janvier 2014 qu’il entendait le déposer par l’intermédiaire de son avocat afin de prévenir toute exploitation commerciale en se basant sur la protection du droit d’auteur assuré par le Code de la propriété intellectuelle.
Mais dans l’hypothèse où l’Institut venait à reconnaître la qualité de marque au slogan au profit d’un tiers, plusieurs possibilités s’offriraient alors à l’auteur de la marque – si tant est que l’auteur de la marque soit identifié – pour se protéger.
a. L’opposition
Tout d’abord, une personne (physique ou morale) qui entend s’opposer à l’enregistrement d’une marque dispose d’un délai de 2 mois pour former « opposition » à ce dépôt auprès de l’INPI.
En l’espèce, l’auteur du slogan « Je suis Charlie » pourrait former opposition en revendiquant sa paternité, ou encore en évoquant la notion jurisprudentielle de la « marque notoire » c’est-à-dire non déposée mais très connue avec la spécificité qui est celle de notre cas d’espèce : celle d’une « marque » devenue mondialement « notoire » en l’espace de quelques heures.
La marque considérée comme « notoire », qu’elle soit enregistrée ou non, bénéficie d’une protection pour l’activité envisagée. Par exception à l’exigence d’un dépôt, son titulaire aura le bénéfice de l’antériorité par rapport à la marque déposée postérieurement.
Par ailleurs, celui qui revendique la paternité du slogan pourra se prévaloir de la présomption du droit d’auteur en faisant état du fait qu’il ait été le premier à « twitter » ce slogan, par des témoignages, les premières interviews accordées… même s’il ne s’agit pas des modes de preuves que l’on retrouve en droit d’auteur (enveloppe Soleau, dépôt auprès d’une étude huissier, envoi à soi-même d’un courrier recommandé avec avis de réception…).
b. L’action en revendication
Si la marque était néanmoins publiée au profit d’un tiers, il existe indépendamment de la procédure d’opposition auprès de l’INPI, une procédure judiciaire : l’action en revendication de marque qui permet à un tiers s’estimant lésé d’intenter une action en justice contre une marque déposée frauduleusement (article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle).
L’action en revendication se prescrit par 3 ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement.
Le tiers lésé devra prouver l’intention frauduleuse au jour du dépôt de la marque. Si l’action aboutit, la propriété de la marque sera transférée au profit du tiers de bonne foi.
Mais en tout état de cause, il convient de préciser que le titulaire de la marque « Charlie Hebdo » pourrait tout à fait à s’opposer à l’enregistrement de cette marque (dépôt d’un tiers ou encore du créateur du slogan) si le dépôt s’opère pour une catégorie de la classification identique à celle de Charlie Hebdo, en invoquant un risque de confusion dans l’esprit du public, le terme « Charlie » renvoyant expressément à celui de la marque déposée et au pouvoir évocateur de cette marque.
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