Le forfait jours : les conventions collectives nationales des hôtels-cafés-restaurants, du commerce alimentaire et les autres…
Les articles L. 3121-53 et suivants du Code du travail permettent de déroger à la règle des 35 heures pour les cadres disposant d’une grande autonomie grave aux conventions de forfait en jours sur l’année.
Toutefois la Cour de cassation bien que validant le dispositif du forfait jours a posé des exigences fortes relatives aux garanties en termes de santé et de sécurité au travail, chères à la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est en cela qu’elle a décidé que si l’accord collectif prévoyant le recours à ces conventions était insuffisant et n’assurait pas la protection de la sécurité et de la santé du salarié, les conventions de forfait en jours sur l’année était privées d’effet (Cass. Soc. 26 septembre 2012, n° 11-14.540).
Tel est notamment le cas, pour la Cour, de la Convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite SYNTEC (Cass. Soc. 24 avril 2013, n° 11-28.398) qui a toutefois été mise à jour par un nouvel accord en date du 1er avril 2014 afin que les conventions de forfaits jours prévues par la Convention collective SYNTEC ne soient plus invalidées comme c’était le cas depuis le 24 avril 2013.
Plus récemment encore, la Haute juridiction a censuré la Convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997 (Cass. Soc. 7 juillet 2015 n° 13-2644), la Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 (Cass. Soc. 4 février 2015, n° 13-20.891), la Convention collective nationale du notariat du 8 juin 2001 (Cass. soc. 13 novembre 2014 n° 13-14.206) mais aussi l’accord national du 6 novembre 1998 sur l’organisation, la réduction du temps de travail et à l’emploi dans le bâtiment et les travaux publics (Cass. Soc. 17 décembre 2014, n° 13.23.230) concernant le forfait annuel en jours.
1. Rappel sur la durée légale du travail
Au regard de l’article L. 3121-27 du Code du travail, la durée légale de travail pour les salariés est de 35 heures hebdomadaires.
Ainsi, toute heure de travail requise au-delà de cette limite est en principe considérée comme une heure supplémentaire faisant l’objet d’une contrepartie majorée en rémunération ou en repos.
Toutefois, une grande majorité de cadres disposant d’une grande autonomie échappe en pratique à cette limite hebdomadaire en bénéficiant des conventions de forfait annuel basées sur un nombre moyen annuel de jours travaillés, en principe 218 par an.
2. La nécessité d’un accord collectif en conformité avec la santé et la sécurité du salarié pour la mise en place du forfait jours
En matière de forfait jours, la Cour de cassation impose aux entreprises d’être dotées de dispositifs conventionnels comportant des garanties suffisantes pour protéger la santé et la sécurité des salariés autonomes, seuls concernés par ce système sans quoi les conventions de forfait seront privées d’effet entraînant pour l’employeur des risques contentieux comme des demandes de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires sur trois ans ou encore des prises d’acte aux torts de l’employeur.
A ce titre, la Cour de cassation n’a pas hésité ces derniers mois à juger comme insuffisamment protecteurs des salariés de nombreux accords à savoir notamment, l’accord-cadre du 8 février 1999 sur l’organisation du travail dans l’industrie chimique (Cass. Soc. 31 janvier 2012, n° 10-19.807) ou encore la convention du commerce de gros (Cass. Soc. 26 septembre 2012, n° 11-14.540).
Les dernières conventions collectives victimes de l’exigence de la Cour de cassation concernant les forfaits annuels en jours sont la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, la convention collective du notariat et l’accord relatif aux entreprises de bâtiments et travaux publics (arrêts précités).
Pour la Cour, ces conventions collectives ne protègent pas la sécurité et la santé des salariés.
Plus précisément, les articles de la convention collective du notariat ne garantissent pas de manière raisonnable l’amplitude et la charge de travail du salarié, ni n’assurent une répartition adéquate du temps de travail de ce dernier.
La convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, elle, est incomplète en ce qu’elle ne prévoit, s’agissant du suivi de la charge et de l’amplitude de travail des salariés concernés, que la tenue d’un entretien annuel et, s’agissant de l’amplitude des journées de travail et de la charge de travail qui en résulte, uniquement l’organisation de l’activité des salariés concernés sur 5 jours afin qu’ils puissent exercer utilement leur droit au repos hebdomadaire.
Quant à l’accord relatif aux entreprises de bâtiments et travaux publics, il n’est, selon la Cour, pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours et, d’autre part, les modalités de mise en œuvre de ces dispositions conventionnelles ont été fixées par une note de service alors que seul un accord collectif peut instituer les garanties exigées.
Seuls les dispositifs contenus dans la convention collective de la métallurgie (Cass. Soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107) et l’accord d’aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) dans le secteur des banques du 29 mai 2001 (Cass. Soc. 17 décembre 2014, n° 13-22.290) ont passé l’exigence des juges de la Cour de cassation en la matière.
La conformité du premier accord tient surtout au dispositif de contrôle effectif qu’il assure à savoir, le contrôle de la charge et de l’amplitude de travail du salarié cadre.
Pour le second, la validation (très récente) de la Cour de cassation se justifie notamment par le fait qu’il impose à l’employeur de veiller à la surcharge de travail et d’y remédier. Est ainsi assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail comme l’exige le droit à la santé et au repos du travailleur.
La Cour de cassation confirme ainsi qu’il faut se référer à l’accord collectif et non pas exclusivement à la convention individuelle de forfait pour apprécier les exigences de protection de la santé et du repos des salariés. Cet arrêt est aussi l’occasion de rappeler l’importance du suivi qui incombe à l’employeur et non au salarié.
Pour revenir aux décisions sanctionnant le contenu desdites conventions collectives en matière de forfait jours, les salariés peuvent donc légitimement espérer voir leur forfait jours annulé et donc obtenir un rappel de salaire sur heures supplémentaires.
Le 24 avril 2013 (arrêt précité) la Cour de cassation avait également invalidé les dispositions de la convention collective SYNTEC en la matière, celles-ci ne permettant pas de garantir le caractère raisonnable de la charge et de l’amplitude de travail ainsi qu’une bonne répartition dans le temps de travail du salarié.
Ainsi, un nouvel accord a été conclu dans la branche SYNTEC le 1er avril 2014 avec pour objectif de sécuriser ces conventions de forfaits jours conclues dans le secteur.
Les principaux apports de ce texte sont les suivants :
– Prévoir un forfait de 218 jours sur l’année ;
– Préciser que les bénéficiaires sont les salariés disposant d’une grande latitude dans leur organisation du travail et la gestion de leur temps et relevant de la position 3 de la grille de classification des cadres de la convention collective et dont la rémunération annuelle est supérieure à deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale ou au moins égal à 120 % du minima conventionnel ;
– Prévoir la possibilité pour les salariés concernés de renoncer à leurs jours de repos contre le versement d’une majoration de 20 % de la rémunération jusqu’à 230 jours ;
– Préciser que les salariés soumis au forfait jours bénéficieront d’un repos quotidien de 11 heures consécutives et d’un repos hebdomadaire de 35 heures minimum consécutives pendant lequel il leur est possible de se déconnecter de leur messagerie professionnelle et de leur téléphone portable ;
– Préciser que les salariés concernés ont la possibilité d’émettre un droit d’alerte à l’attention de la hiérarchie en cas de surcharge de travail ;
– Prévoir deux entretiens par an pour chaque salarié soumis au forfait jours.
Les entreprises soumisent à la convention collective SYNTEC ont disposé de 6 mois à compter de la publication de l’arrêté d’extension pour être en conformité avec cet accord.
Ainsi, avec cet accord, le risque pour les employeurs d’être confrontés à des litiges en contestation d’un forfait jours est limité sous réserve de se conformer strictement à ces dispositions.
3. Les autres obligations de l’employeur dans la mise en place du forfait jours
a. La formalisation de la convention de forfait par un écrit
Outre l’exigence d’un accord collectif, la Cour de cassation considère que les conventions de forfait doivent nécessairement être passées par écrit (Cass. Soc. 19 septembre 2012, n° 10-16.988).
Cette exigence d’écrit ne saurait se limiter à un simple renvoi aux dispositions de l’accord collectif.
En effet, le contenu de l’accord collectif autorisant le recours à la convention de forfait doit être repris et ses dispositions explicitées (Cass. Soc. 31 janvier 2012, n° 10-17.593).
Ainsi, l’exigence d’un écrit semble devoir répondre à une double préoccupation. D’une part, une finalité d’information quant à la nature de l’engagement souscrit par le salarié. Celui-ci doit connaître le nombre de jours travaillés ainsi que la rémunération correspondante. D’autre part, il est nécessaire que la convention de forfait rappelle les moyens de décompte et de contrôle du temps de travail prévus par l’accord collectif de mise en place, afin de permettre de satisfaire à l’objectif de protection du droit à la santé et au repos.
b. Le contrôle de la charge de travail par l’employeur
Afin de suivre de manière effective la charge et l’amplitude de travail des cadres autonomes, la jurisprudence est très claire et exige que non seulement les dispositifs conventionnels existent mais surtout que l’employeur soit en mesure d’apporter la démonstration de la mise en œuvre en pratique.
En effet, il convient que l’entreprise adapte ses outils afin de disposer de moyens permettant d’identifier quelle est la charge et la répartition du travail du cadre ainsi que ses amplitudes de travail et d’adapter la situation, si besoin est et d’être en mesure de démontrer, en cas de contestation notamment, que ce suivi a bien été réalisé.
Afin de répondre à ces objectifs, il peut être envisagé de mettre à jour les différents documents de décompte des jours de travail et de repos, d’identifier la charge et la répartition du travail…
Il est également essentiel de vérifier que l’entretien annuel portant sur l’analyse des conditions d’application du forfait jours prévu par l’article L. 3221-46 du Code du travail soit effectivement tenu comme l’a très récemment rappelé la Cour de cassation (Cass. Soc. 12 mars 2014, n° 12-29.141).
Lorsqu’un cadre persiste à travailler de manière excessive, malgré les précautions mises en œuvre, il est essentiel que l’employeur réagisse. En effet, l’employeur a une responsabilité à faire cesser une situation de travail excessif et ce, même s’il n’en est pas à l’origine (Cass. Soc. 26 septembre 2012, voir supra).
Ainsi, l’employeur doit être en mesure de démontrer qu’il « suit » ses cadres, qu’il a connaissance de leur charge et de leur amplitude de travail et qu’il a mis en œuvre, le cas échéant, des correctifs adaptés lorsque cela s’est avéré nécessaire.
Ces règles strictes répondent finalement à l’obligation de sécurité de résultat à la charge de l’employeur.
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